TEXTES
Extrait du spectacle Miléna Milagro (2014)
Tableau 1
Miléna derrière le décor
« Il était une fois Miléna Milagro. Je suis née bien des heures après le début du travail. Dans une roulotte rouge. La roulotte de mon arrière grand-père Milano Milagro.
Respirations
« Respirez »... « Bloquez, poussez »...
Et ce fut finalement mon cul que je montrais en premier au monde. Tout comme mon arrière grand-père Milano et j'ai hérité de son prénom.
Je m'appelle Miléna Milagro.
Aujourd’hui je ne suis plus ce qu'on peut appeler une jeune fille.
Ma jeunesse est le fil dont est tissée ma vie, mon innocence perdue comme des boutons. Lambeaux et oripeaux oubliés dans le train. Le train qui m'a amenée ici en France. Ce train grande vitesse, sans billet, les yeux fermés. Tchacathchac tchacatchac. Ce train qui m'a crachée sur un quai de gare. A Paris. Paris LA capitale de LA France. Paris ville lumière, Paris capitale de l'élégance, Paris ville des petites femmes et des faubourgs sans flonflons. Paris capitale de la misère.
J'avais 16 ans.
Je suis arrivée sans poids dans une ville tourbillon, il m'a fallut apprendre, trouver les points d’amarrages.
Quand j'étais petite on m'appelait la gacela ou la rana. Mes jambes fil de fer, aux genoux cagneux me donnaient des airs de misère. Mais tout en ressort à l’intérieur.
Alors j'ai marché, marché, du matin au soir, marché d'un banc à un talus, marché d'un arrêt de bus à une bouche de métro, marché d'une nuit à l'autre.
Je vais pas mentir, pendant cette traversée j'ai été mendiante, clocharde, pilon, trucheuse, tuneuse, courtaude de boutanche, drogueuse de la haute. Ramassée par le samu social.
J'ai été voleuse à la sauvette, à l'étalage, à la roulotte, à la tire, vol au vent, j'ai fait la plonge, la pluche, la plume et autres boulots au noir, dans le noir des arrières-salles de caboulots infâmes, j'ai fait les fins de marchés, chargement, déchargement de camions. J'ai fait les poubelles des super-marchés en évitant les produits intentionnellement passés à l'eau de javel. J'ai fait les poubelles des beaux quartiers et revendu les objets trouvés, j'ai lu des lignes dans des mains aux signes effrayants.
(Entrée dans le public)
Et puis, et puis... durant cette traversée il y a eu,
Le regard en coin, le regard fouillant :
- « Qu'est ce qu'elle pue ! », « Non mais regarde-moi ça : elle repère ce qu'elle pourrait voler. »
Le regard qui fuit
La main au portefeuille
La petite pièce
Le sourire soleil
Le « Mais elle devrait travailler, au lieu de piquer les allocations des gens honnêtes. Comment ? Elle n'a pas de papiers ? Elle n'existe pas alors ! »
Le « Tous les Roms sont pareils, sans cœur, sans scrupules et voleurs d'enfants »
« Je ne suis pas Rom. Je suis gitane. »
Et puis il y a eu,
Le « Ça doit pas être cher la passe, rentre chez toi connasse. »
Le « Pouvez pas disparaître ? Une bonne fois pour toute ? »
Et puis,
Les pierres,
Les canettes,
Les coups de pieds,
Le crachat à la figure,
Les insultes,
Les caresses suffocantes...
Et puis... et puis... et puis, il y a eu ce matin de janvier, à l’arrêt du bus 53… la chaleur.
La même que celle que me procurait la peau de mouton d'Iréna la vieille.
Petite fable
(stage d'écriture avec Eugène Durif, 2013)
Il était une fois une femme
Qui avait perdu sa jeunesse.
Un jour elle s’était réveillée vieille
Si vieille que son visage était un labyrinthe de rides et ridules
Alors elle décida d'aller voir la fée de proximité
Cette dernière lui demanda « Quel est ton souhait ? »
La femme répondit : « Rendez-moi ma jeunesse »
La fée répondit « D'accord mais sache que je suis novice »
« Cela m 'est égal, je veux juste retrouver toute ma jeunesse »
Alors la fée s’exécuta et donna un bon coup de laser
« Voila tu es à nouveau dans toute ta jeunesse »
La femme remercia la fée, rentra chez elle et passa devant un miroir
La femme était redevenue une toute petite fille.
Elle alla trouver la fée
Et dit « Je voulais retrouver ma jeunesse, pas mon enfance »
La fée lui répondit « N'était-ce pas ce que tu voulais, jeunesse apparente ? Excuse de ne pas t'avoir avertie de ma générosité... Mais estime-toi chanceuse, cela durera plus longtemps »
Combat
Malos et Mauny
Colin et Thibaud
Jean envoie une beigne, qui carminise aussi sec la pommette de François.
Temps.
Dans le ciel les nuages se pressent.
Jugement des regards rivés l'un à l'autre.
Dans l'air, de leur souffle, s'échappent vapeur et petit air d’harmonica...
Souffle, un tonnerre gronde.
De l'un s'échappe un son , tout petit et qui grandit, et qui grossit, et qui grandit jusqu'à tout envelopper et qui grandit jusqu'à tout trembler et les os et les sangs et les viscères, entrailles, tripes, cerveau, boyau, tord boyau....
La terre tremble. Le ciel pluviotte
Et François entame son premier mouvement, tel un ours.
Un pas, une avalanche poussiéreuse monte du sol.
Un pas. Et monte sa main qui se ferme et s'ouvre,
un pas, et se ferme et s'ouvre et perle le sang dans la paume par les petites ouvertures des griffes plantées.
Alors la paluche s abat sur la bouche de Jean d’où s'échappe la chambardée des sons « chcribouillon du malapoute, approche-toi donc si tu l'oses ! » et schplaff , l'autre pogne qui serre de près la première. Jean est terremoté et d'un sursaut il s'empoigne de cette malapogne qu'il croque et suce et boit le jus jusque dans la moelle.
Jean suceotte ses dents ainsi aiguisées et d'un ongle pointu en extrait un petit bout de cartillage doistique.
Jean - « Pffuit ».
A ce mot, François est pris de fureur et spasmodique tournoie , petit pas, petit pas, petit pas et vlan la tatane dans les dents, le crac de la mâchoire et le tintinabulement des chicots qui s'entrechoquent et se vrillent.
Jean s'envole au son des castagnettes, s'écrache dans la poussière et roule sur son flan dans un ralenti qui permet à François de réarmer son genoux d'un mouvement leste, précis et assassin.
A l'impact, le ciel crève, la flotte ravasse tout dans sa chute.
Jean se sent d'abord soulevé du sol depuis la 4ème côte et puis le pointu de la pompe le vrille jusqu'au foie qui offre une onde vinaigreuse et un filet de bile vaporise ses propres genoux « bredainsche, redoutable bredainsche , que le gralvache te crache à la gueule »
François rit
Jean vomit dans une flaque et dans un élan sublime plante ses griffes dans le mollet nu, torsion du bras et ses dents cranchent dans la bedaine ricanante. Il sert, croque, arrache « pfuitt » crache, avale, et remord et creuse et fouittttt et schlurp et remonte jusqu'au foie, jusqu'au cœur, pendant que François, les doigts arc-boutés écartèlent trous d'oreilles et se creuse bulzeriques un chemin vers le cervelet.
François dérape et se rattrape au globe oculaire, bille luisante et sanguinolente qui lui glisse des mains
François - « Oups, tombé... »
Le dentier de Jean dans un dernier sursaut : clac
le cœur de François : chpreafff
Ondée d'eau et d’hémoglobine
Éclair dans la voûte aigreleste
François s'écroule et Jean ferme l’œil,
Blam les titans
Des corps mêlés s'échappe humeurs, liquides, gels, viscères, boyaux et cerveaux.
Des corps mêlés s'échappe une mélodinette tournoyante et se crée une tornade qui pfouuuuuu s'éloigne emportant cheveux, barbes et zabits
Peu à peu l'eau lave les corps, les sépare, les détache et les dissout.
Au matin, plus rien.